Clémentine
Schneidermann




Sète
2019-2020

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Sète
A residency in Sète commissioned by Images Singulières in 2020

Venez, vous dont l’œil étincelle,

Ce premier vers de La Légende de la nonne, que Victor Hugo composa en 1828 et que Georges Brassens enregistra en 1956, est une injonction à laquelle pourraient souscrire bien des photographes qui, à leur manière, l’adressent également à tous ceux qui regardent leurs images, et plus généralement à tous ceux qui sont convaincus qu’il est indispensable de voir. Ce pourrait donc être une forme de guide pour Clémentine Schneidermann qui, après douze autres photographes, s’est immergée dans la région de Sète, est allée à la rencontre de personnes et de personnages, d’espaces et de lumières. De chats aussi. 

Elle l’a fait avec dans son œil une étincelle qui, comme à son habitude, sait éviter les caté- gories, pratiquer une forme douce et curieuse de documentaire qui frise avec la mise en scène de mode, mais également la sociologie, voire l’ethnologie, et qui opère une tension qui nous convainc que le réel – ou ce que nous considérons comme tel – est une inépuisable réserve de fictions. 

Clémentine Schneidermann a donc parcouru Sète et les communes voisines par temps de soleil, mais n’a pas insisté sur la chaleur. Elle a préféré rester en demi-teinte, à tous points de vue, ce qui lui permet d’offrir une souplesse de vision confortable. Elle ne décrit pas mais nous entraîne dans des espaces ocres dont les angles jamais trop brutaux attendent calmement des passants ou accueillent, parce qu’ils se font décor, des personnages. De vrais personnages, souvent seuls, qui posent volontiers –voire s’exhibent – ou semblent poser tant ils ou elles sont figés. On ne peut s’empêcher de penser que certaines auraient bien aimé être la Püppchen de Georges Brassens, muse jamais épousée et profondément aimée avec laquelle il forma un couple de liberté. On peut aussi imaginer que certains des messieurs auraient bien aimé faire partie des copains d’abord et n’auraient pas renâclé à entonner une complainte pour être enterrés en plage de Sète, avec tous les avantages qui s'y rattachent. On pense cela parce que, sans que le propos soit de composer un portrait de Sète au travers de Brassens, les échos de celui qui repose au cimetière Le Py servent cependant de fil rouge à la photo- graphe en balade, avec tendresse et avec, également, un sourire. 

En fait, un peu comme Brassens, la photographe se livre, en apparence tout du moins, non au développement d’un projet mais à une forme de cueillette modeste et d’aspect léger. Lui le faisait avec des mots et des mélodies qui restent en tête, elle le fait avec des images sans maniérisme et pourtant solides, qui s’installent doucement au fond de la rétine. Des images qui, comme les couplets du poète, content ou évoquent aussi des histoires. Celles de la belle qui se rêve en star, celle du passionné qui se projette dans sa collection d’objets, de livres, d’affiches, de cartes postales, de signes de papier et s’y invente une identité. Pas très différent, au fond, de tous ceux qui prennent grand soin de leur moustache, convaincus même si le miroir devait les détromper qu’ils sont des sosies du chanteur résolument anar. Clémentine Schneidermann en a croisé, en a déniché et leur a tiré le portrait avec tendresse, respectant leur conviction autant que leur illusion. Il faut dire qu’ils sont sympathiques, souvent émouvants et si tous ne se présentent pas avec une pipe, ils sont fréquemment accompagnés de chats. Ces animaux que Brassens disait « aimer parce qu’il n’y a pas de chats policiers » et qu’il a chantés si souvent – dans Brave Margot comme dans Putain de toi, Le Testament, Don Juan, Jeanne...– et qu’il met en valeur dans son roman loufoque, La Tour des miracles, dont les habitants ont de vrais chats dans la gorge. 

Tout cela nous offre un Sète bon enfant, avec quelques perspectives de mer calme, de teintes apaisées, de douceur de l’ambiance soutenue par celle d’une palette à peine vibrante. Mais, derrière ce calme, il y a des moments de mystère, presque inquiétants, des personnages impossibles à définir qui semblent sortir d’une histoire reléguée en promenant leur chien ou qui restent figés au centre de l’image, appréciant l’équilibre du carré et semblant l’éprouver tout en restant une énigme. Puis, dans cette sensation d’un univers étale, apparaissent des stridences de rouge, comme de petits sifflements atti- rant l’œil, qui peuvent s’élargir, devenir vêtement de tous les jours ou de gala, voire, en aplat, décor et sujet principal d’une photo. Il est alors temps de retourner à La Légende de la nonne et à son refrain : 

Enfants, voici des bœufs qui passent Cachez vos rouges tabliers.

Text by Christian Caujolle published in Sète #20, le Bec en l’air 2020